SNJ - FEJ (Fédération Européenne des Journalsites) - "Debout pour le journalisme" Lettre ouverte à nos chers patrons
Précarité : le secteur des médias n'est pas une zone de non-droit
Emplois supprimés par wagons entiers, précarité galopante, travail dissimulé, mépris du Code du Travail, discrimination syndicale, atteinte à la liberté d’expression : ces mots s'affichent au-dessus de la pliure à la « une » de nos journaux, sur nos sites internet, en ouverture des JT, au sommaire des radios d'infos. Si promptes à donner des leçons, parfois à coup d’éditoriaux vengeurs, les entreprises du secteur des médias se considèrent-elles au-dessus des lois ? Mesdames et messieurs les patrons, commencez par balayer devant vos portes, qui sont aussi les nôtres !
Il ne s'agit pas de nier la crise économique, renforcée par une perte de crédibilité des médias, qui frappe de plein fouet nos entreprises. Ces difficultés ne constituent pas pour autant des passe-droits. En aucune manière elles n'autorisent les chefs d'entreprises à s'affranchir de la loi, des statuts des salariés, des conventions collectives. Mesdames et messieurs les employeurs, tout autant que les journalistes, vous avez des droits, mais vous avez également des devoirs !
Quelle perspective, en 2011, pour un jeune étudiant en école de journalisme qui envisage de travailler dans le secteur des médias ? Tout d’abord, multiplier les stages, rémunérés ou non. Bien au-delà des conventions écoles, qui permettent de mettre le pied à l'étrier, les stagiaires servent aujourd’hui de variable d'ajustement dans des rédactions aux effectifs trop justes. Où se trouve l’aspect formateur lorsqu’il n’est pas matériellement possible de les encadrer ?
Travail dissimulé ? Oui, bien sûr. Lorsque que le fonctionnement d’une rédaction est basé sur la présence continuelle de stagiaires pour alimenter l’antenne, le site ou les colonnes d’un média. Lorsqu’ils pallient les surcharges de travail créées par les suppressions d'emplois.
Travail dissimulé encore, dont va être victime notre jeune confrère diplômé lorsque les entreprises de presse régionale et départementale détournent le statut des correspondants locaux de presse (CLP), pour s'offrir avec lui une main d'œuvre journalistique bon marché. Il faut en passer par là pour s’insérer dans le monde du travail, lui expliquera-t-on en taisant tout ce dont le prive le fait d’être « travailleur indépendant ».
Mais il y a un nouveau « modèle » pour s’affranchir du Code du Travail qu’on ne manquera pas de proposer à ce jeune diplômé. Le recours insidieux à l'auto-entreprenariat, que ce soit pour les journalistes appointés comme CLP ou ceux rémunérés à la pige. Le chantage à l’emploi étant généralement brandi pour leur faire accepter ce déclassement contraire aux règles. Mesdames et messieurs les employeurs, vous n'êtes pas au-dessus des lois !
Faut-il le rappeler ? Le statut de journaliste est un statut de salarié quel que soit le mode de rémunération, au mois ou à la pige. C’est une lapalissade mais il doit donc être payé en salaire, avec les cotisations afférentes, et non en droits d’auteur/Agessa pour des premières publications. A ce statut, sont donc associées toutes les garanties légales en cas de maladie, maternité, accident du travail, chômage, retraite, cession, cessation ou changement d’orientation d’un titre. Et tous les acquis de la Convention collective des journalistes, notamment le droit de refuser tout travail de publicité rédactionnelle, la couverture pour risques exceptionnels ou les primes d’ancienneté. Mesdames et messieurs les patrons, vous n'avez pas le droit de vous dédouaner de vos obligations d'employeurs, à travers une « sous-traitance » incompatible avec l'activité journalistique !
La crise économique ne peut servir de prétexte, quand vous et vos prédécesseurs ont réussi le tour de passe-passe d'échapper aux barèmes minimaux de piges, dans la plupart des formes de presse, alors qu'ils sont obligatoires depuis plus de vingt-cinq ans, au regard de la Convention Collective Nationale de Travail des Journalistes. Mesdames et messieurs les employeurs, il est temps d'accepter une règle commune en matière de paiement des piges, pour sortir de la politique du gré à gré, à la tête du client. Celle-ci conduit en effet des journalistes rémunérés à la pige à travailler en-dessous du smic. Ce qui est intolérable. Le maintien constant de la précarité dans la profession ne peut être un mode de gestion responsable des salariés.
Et ensuite, une fois le statut de journaliste chèrement acquis, que peut espérer notre jeune confrère diplômé ? Une succession de CDD, d'un journal à l'autre, d'une société à l'autre, une sorte d'interminable « période d'essai » sans aucune perspective pérenne, le délai de carence imposé n'étant qu'une garantie pour éviter à l'employeur la requalification du CDD en CDI. Alors que l'emploi de CDD, dans les rédactions, masque souvent des manques d'effectifs. En ce domaine, l'Etat n'est pas le meilleur élève. Le SNJ l’a épinglé à Radio France dans un livre blanc qui décrit le quotidien de ces précaires, trimballés d'une station à l'autre.
Mesdames et messieurs les employeurs, il est temps de retrouver le droit chemin. Le jour où vous comprendrez que la sécurité matérielle et morale est la base de l’indépendance des journalistes mais également de la qualité de leur travail, les médias feront un pas dans la bonne direction pour retrouver leur crédibilité perdue vis-à-vis du public.
Paris, le 4 novembre 2011.
Photo : carte de presse professionnelle
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